Appel à textes pour le No 10

Pour son dixième numéro à paraître au mois de décembre 2019, La cinquième saison lance un appel à textes, ouvert à toutes les plumes d’ici ou d’ailleurs et intéressées par la création littéraire en Suisse romande. Rédigé sur le thème « Traduire », votre texte mettra en scène l’acte de transformation qu’accomplit le traducteur ou la traductrice en passant d’un langage à l’autre. 
 
Votre travail doit être original et inédit (jamais publié sur papier ou en ligne). Nous retiendrons les meilleurs textes de forme et de genre libre (fiction, prose, poésie, théâtre, etc.), d’une longueur comprise entre 3’000 (sauf pour la poésie) et 12’000 signes, espaces compris et comportant un titre. Nous vous invitons à envoyer votre texte à appel@5eme-saison.ch, au format Word uniquement, jusqu’au 20 septembre 2019. 
 
Conditions de participation: nous vous remercions de bien vouloir lire (et respecter!) les conditions de participation aux appels à textes
 
Nous nous réjouissons de vous lire,
La cinquième saison

Vernissage du numéro 6

Le vernissage de notre sixième numéro, placé sous le thème « Portrait des robots », aura lieu le samedi 6 avril 2019, à la Maison d’Ailleurs d’Yverdon-les-Bains

Dès 17h30, vernissage en présence d’auteurs ayant contribué au numéro, puis visite guidée de « L’expo dont vous êtes le héros ». Apéritif dînatoire pour conclure la journée !

Entrée libre: au plaisir de vous y rencontrer.

De ceux qui fantaisient

Critiques de (FA-FU) (Julia Sørensen) et de Love stories (Vincent Kappeler) par Cédric Pignat, parues dans La cinquième saison No. 5

Fumantes facéties

Les livres les plus précieux seraient-ils ceux qu’on ne lit pas de A à Z, dans lesquels on pioche et picore ? Qu’on pense aux œuvres denses – en vrac : Huysmans, Céline, Wiesel ou Valéry, San-Antonio, Cherpillod, Mallarmé, Mauvignier –, à l’inépuisable Dictionnaire égoïste de la littérature française d’un Dantzig qui ne pissait pas encore copie ou à la collection des Dictionnaires amoureux – des papes à Proust, du vin, des faits divers aux… dictionnaires −, et qu’on pique le F, le FA, le FU du dernier ouvrage de Julia Sørensen : de fabriquer à fuyant, en passant par facettes, féeriqueou frotter, septante-cinq définitions revisitées en à peu près autant de pages enthousiasmantes.

Et le lecteur, sans pouvoir fermer − « S’encoquiller. Regard au sol, imperméable. Tenir le reste à distance. Au pied de la muraille, par absence de mots brandir une autre arme. Faire taire la chorale chanteur par chanteur, entrer dans une transe éliminatoire et se prendre pour la cerise sur le gâteau. Toujours les jeux vidéo. Passer à la télévision et dans tous les cerveaux » − le flacon − « Ivresse savourée, peu importe. Envolée lyrique, illumination. Levée d’inhibition et de prohibition. Arroser un repas, un événement, une rencontre, une nouvelle. Refaçonner le monde et le reste, prendre des notes pour s’en souvenir le lendemain » −, le lecteur de flâner – « Au bon gré, se laisser porter. Traîner le pas alourdi d’un nuage cotonneux assez doux. Buter contre un bord de mer ou le pied d’une montagne, ne pas s’asseoir, rebrousser chemin et décor. Trouver sans chercher des issues dans les voies. Penser ailleurs, laisser agir. Infuser. Perfuser, s’emplir les veines et les caves, faire des réserves pour l’hiver ou la guerre » − sur les pas de l’auteure qui libellule autant qu’elle papillonne, grave, légère ou terrible au gré des synapses et des idées qui tombent, qu’on talonne comme on errait enfant dans l’arbitraire d’un imagier, comme on lisait, mi-séduit, mi-timide, son premier Larousse.

Iconoclasme en plus, constance en moins – gloire à femme, foudre et fictif, fi des déceptions de fille et de fantôme, de l’impuissance de frissonner ! −, la proposition de Sørensen se parcourt avec jubilation. Mis en bouche, on déplore forcément quelques absents − fable, farce ou farine, fibule, foire ou fruit − qui confirment une réussite dont la liberté follement évocatrice clame l’opulence des mots et le privilège de la contrainte.

Et tout est là : la contrainte et les mots, l’auteure en joue volontiers, artiste qui palpe et modèle, qui collecte, fragmente et photographie, dont les expositions ne s’éloignent guère des phrases (les réponses automatiques de Semaine d’absence) et dont les textes s’éprennent des matières (Sans un je). De retour aux plaisirs lexicophiles effleurés dans Segments de plomberie aléatoire (Héros-limite, 2005), elle livre ici un opuscule qui se distingue aussi par une facture belle et sobre à quoi elle n’est pas étrangère, éditrice au sein d’une maison qui décidément – quitte à titiller − gâte le chaland. Original en diable, joliment poétique et d’une étonnante exigence, (FA-FU) est de ces livres qui s’offrent et se gardent avec la même gourmandise.

Retour en Sibérie

Pas d’Ali MacGraw ni de Ryan O’Neal dans les Love stories du singulier Vincent Kappeler, mais Jeanne, Armand, Mathilde et Mischka, quelques autres qui traînent et trébuchent dans un chassé-croisé rouge et noir ; point de larmes à la fin mais une jolie tristesse, un malaise latent qui semble opérer un tournant dans l’œuvre du Vaudois : désormais, les étreintes sont stériles et les cadavres ne bougent plus.

C’est qu’on meurt beaucoup chez Kappeler, d’un saut peut-être héroïque dans le vide, sous la pierre de qui tue pour distraire sa conscience, d’usure, de vieillesse ou du cœur ; c’est qu’on aime, aussi, trop, mal ou trop tard, à contretemps, pour se méprendre, pour partir et se bouter le feu ; et cette roulette, ma foi, n’est pas sans charme. Il faut le lire, le veuf qui baise des inconnues avant de s’échiner sur le vélo de la morte, qui tente de noyer son drame dans ceux des goulags. Il faut les suivre, ces destins qui s’attirent et se prolongent comme le faisaient les nouvelles étranges et redondantes de Loin à vol d’oiseau (2015). Si l’on se cherche, si l’on se mêle, c’est pour se rater et se blesser quand même, pour se retrouver dix ans plus tard et recommencer ; et lorsque l’un se demande : « L’homme sous lequel le sol se dérobe regarde-t-il le ciel ? », une autre soupire : « J’aimerais pouvoir contempler le ciel sans me mouiller les pieds ».

Avec la désinvolture qui grevait Les jambes d’abord sont lourdes (2017), sans éclat ni fioritures – l’esprit fantasque ne devrait-il pourtant pas faire la fête aux mots ? −, Kappeler touche comme à son corps défendant : « La vie est nulle. On marche sur des fourmis sans le vouloir et on boit de l’eau qui sort de tuyaux probablement dégueulasses. (…) Les habits que l’on aime bien deviennent trop petits ou s’usent. Manger une pomme ne fait pas venir la nuit. » Personnages veules et maladroits, poissards, toujours prompts à perdre leur peine dans un sursaut, les Anaïs, les Laura, les Julien, ces amoureux empruntés : « Nous faisions l’amour les lèvres pincées en nous regardant droit dans les yeux. Nous nous efforcions d’être comme tout le monde. Je ne détournais le regard que pour jouir, par honte ou par réflexe, je ne sais plus très bien. Je ne sais plus non plus par quel miracle ce frotti-frotta m’amenait à destination » − et d’autres amants de sourire, chacun dans son coin du lit.

Bon sang, bien sûr, ne saurait mentir : si l’on reste loin des accouchements lithiques et des décapités qui gambadaient dans ses premiers écrits, Love stories contient son lot d’extravagances qui rappellent Richard Brautigan ou Marie-Jeanne Urech : une étudiante en psychologie passionnée de malheur, un homme qui sans cesse appelle sa mère, morte ou vive, et son épouse enfant du viol qui fantasme à son tour, ou encore la constipation d’un rongeur et les récalcitrances d’une housse de duvet ; cependant le lecteur ne s’y trompe plus : fêlés, les personnages le sont au sens de Fitzgerald (« Toute vie est bien entendu un processus de démolition ») : ils vont mal, et lorsqu’ils rentrent avec l’espoir de guérir, c’est sans surprise que la boucle se referme : « Salut Chérie, c’est moi. – Très bien, je vais me coucher. »

Texte d’une envergure bondissante, multipliant les ellipses et les points de vue, Love stories frustre son lecteur qui n’y trouvera qu’une petite heure. Le fourmillement des rôles, le jeu des chronologies, la toile de fond historique et le ton qui baisse, encore, laissent toutefois penser la partie remise.

Julia Sørensen, (FA-FU), art&fiction, 2018, 84 p.

Vincent Kappeler, Love stories, L’Âge d’Homme, 2018, 75 p.

Tempête dans une flûte de champagne

Le beau monde (Laure Mi Hyun Croset)

Critique de Julien Sansonnens, parue dans La cinquième saison No 5. 

Les invités attendent dans l’église, le personnel prépare le salle de banquet, le futur marié s’impatiente devant l’autel, or il faut s’y résoudre, Louise n’est pas là. Louise ne viendra pas.

C’est par cette absence remarquable que débute Le beau monde, premier roman de l’écrivain Laure Mi Hyun Croset, dont l’intrigue prend place au sein de la grande bourgeoise lyonnaise : cinq cents convives, petits fours et mousseux millésimé, le décor est planté. Et tandis que la promise se fait attendre, bruissent les premières rumeurs : sait-on qui est vraiment Louise?

Si l’incipit annonce un ouvrage séduisant, c’est de regrets dont il est question en tournant la dernière page, du sentiment que la Genevoise s’était donné de belles cartes dont elle n’a su tirer le meilleur. Un premier écueil concerne le niveau de sens : le récit doit-il être lu au premier ou au second degré ? Ainsi lorsque l’auteur (qu’on nous pardonne de ne pas parler d’auteure, ou pire encore d’autrice, tout aussi fautives) nomme le fiancé « Charles-Constant Cotton du Puy-Montbrun », s’agit-il d’une caricature, légitime dès lors qu’elle doit induire le rire, ou d’une description d’un milieu particulier ? Dans le premier cas, Le beau monde s’inscrirait dans la riche tradition de la comédie à la française, dont l’un des ressorts comiques fonctionne sur le quiproquo produit par la distance sociale (au cinéma, on pense à Bienvenue chez les Ch’tis, aux Visiteurs ; en littérature, par exemple à Molière), tandis que le choix opposé témoignerait d’une démarche plus critique et analytique qui, en l’espèce, n’éviterait pas le cliché. Visiblement, l’auteur n’a pas voulu trancher : sans doute a-t-elle même souhaité jouer sur les deux tableaux, estimant à tort que le livre s’en trouverait enrichi.

Louise n’étant pas là, le personnage se dessine – bonne idée – à travers les points de vue personnels des invités. Apparaît ici une deuxième faiblesse du roman, relevant moins du fond que du savoir-faire : l’articulation des portraits dépeignant Louise apparaît bien mécanique, la structure rigide et prévisible, chaque protagoniste étant convié successivement à évoquer « sa » Louise (pour le dire vite, celle avec qui il a couché) devant une assemblée tantôt indifférente, tantôt fascinée. Si les représentations de l’absente sont heureusement diversifiées, voire contradictoires, elles manquent de liant, finissant par assembler une sorte de patchwork dont émerge difficilement une personnalité. De fait, on peine à s’attacher à cette Louise de bric et de broc, empilement de traits de caractère et d’anecdotes qui n’émeuvent ni ne touchent. A vrai dire, on renâcle à l’aimer ou la détester, inclinaisons seulement remplacées par une indifférence polie, prémisse hélas à l’ennui.

Qui est vraiment Louise ? Si les invités au mariage sont amenés à se poser la question, le lecteur l’est aussi, mais sous un angle différent, celui du rapport qu’entretient la romancière à son personnage. S’agit-il d’une projection ? D’un fantasme ? De Laure Mi Hyun Croset soi-même, ou telle qu’elle se voudrait être ? Etrange sentiment que cet « excès d’auteur » ressenti à la fois au travers des lignes et en dehors de celles-ci ! Dans le livre, via le personnage d’une Louise peinant à respirer sous la main trop présente de sa créatrice. Sur le livre, où cette dernière figure en portrait serré, occupant la totalité de la quatrième de couverture. Hors le livre enfin, où les choses ont également été vues en grand. Le raffinement du dispositif promotionnel est ici particulièrement élaboré : la lecture d’une série d’interviews fait ressortir un storytelling habile, construit autour du schéma classique du conte de fées. L’écrivain Jean-Christophe Grangé tient un rôle particulier dans ce récit : rencontré à la soirée des auteurs du Livre sur les quais, alors que la romancière « avait un peu bu », l’auteur des Rivières pourpres, « très vite » séduit par un manuscrit glissé à cette occasion, introduira la Genevoise chez Albin Michel… la suite est connue. Et puisqu’on évoque Albin Michel et les contes de fées, qu’on nous permette de penser que l’accueil très favorable qu’a réservé la critique romande à cet ouvrage renseigne sur la fascination continuant d’opérer lorsqu’un auteur du cru publie en France. A l’évidence, le mythe de la « petite Suissesse montée à Paris » pour y rencontrer le succès, variante de « l’homme parti de rien », continue de fasciner : le schéma est certes usé jusqu’à la corde et la réalité moins rose qu’il n’y paraît, on continue de feindre d’y croire (c’est à regretter que l’auteur ne soit pas gruyérienne ou jurassienne, provenances jugées plus modestes et qui auraient encore potentialisé le dispositif).

Malgré ces quelques faiblesses, ce beau monde est un roman divertissant – ce n’est pas honteux – qui a légitimement trouvé son public. Le suspense, l’un des points forts du livre, fonctionne bien, l’auteur tenant avec intelligence son intrigue jusqu’à la pirouette finale. L’écriture est soignée, le style convenu mais agréable, l’usage çà et là de l’imparfait du subjonctif ajoutant une note de préciosité à l’ensemble, en accord avec l’ambiance peinte par l’auteur. A propos de style, on regrettera encore l’abus du name dropping, figure contemporaine qui ne trompe plus grand-monde et consistant à s’accaparer partie du prestige d’une personnalité en en citant le patronyme. En la matière – c’est particulièrement le cas en première partie de roman – Laure Mi Hyun Croset a eu la main lourde : Emmanuelle Béart, Ronsard, Du Bellay, Villon, Montaigne, Goya, Raphaël, Molière, Truffaut, Vaclav Havel, John Rawls, John Stuart Mill, Max Weber, Schopenhauer, Nietzsche, Derrida, Wittgenstein, Hume, Kant, Flaubert, Tarkovski, Oblomov, Michel-Ange, Samuel Beckett, Agota Kristof, Orwell… et nous n’en sommes, à ce stade, qu’au tiers du roman.

En conclusion, Le beau monde laisse un sentiment mitigé, et l’on peut craindre qu’il apparaisse à la fois trop long entre les mains et trop court en bouche, à l’image de ces champagnes d’hypermarchés dont la saveur explose au palais avant de se dissiper tout aussi brusquement. Charmant et un brin prétentieux, il peine à tenir les promesses annoncées en quatrième de couverture (un « jeu de massacre », « cinglant et insolent »), tout en offrant quelques jaillissements farceurs et ingénieux.

Laure Mi Hyun Croset, Le beau monde, Albin Michel, 2018, 208 p.

Appel à textes pour notre No 7

Pour son septième numéro à paraître au mois d’avril 2019, La cinquième saison lance un appel à textes, ouvert à toutes les plumes d’ici ou d’ailleurs  et intéressées par la création littéraire en Suisse romande.

Rédigé sur le thème « Retour à la terre », votre travail doit être original et inédit (jamais publié sur papier ou en ligne). Nous retiendrons les meilleurs textes de forme et de genre libre (fiction, prose, poésie, théâtre, etc.), d’une longueur comprise entre 3’000 (sauf pour la poésie) et 12’000 signes, espaces compris et comportant un titre.

Nous vous invitons à envoyer votre texte à redaction@5eme-saison.ch, au format Word uniquement, jusqu’au 20 février 2019.

Conditions de participation: nous vous remercions de bien vouloir lire (et respecter!) les conditions de participation aux appels à textes

Nous nous réjouissons de vous lire,
La cinquième saison